Préface
Après avoir fait notre choix, nous avons découvert le palmarès très éloquent de notre lauréate, artiste peintre, auteure, poète et traductrice, douée de nombreux talents qui lui permettent, cette année 2023, de voir couronner sa plume aguerrie et virtuose ! Les thèmes développés dans ce recueil sont intensément lyriques, l’amour passionné confronté à la douleur de la perte, de la mort, la guerre opposée à la paix, transcendent l’écriture pour apaiser les blessures de l’âme et ses regrets.
Procurant le charme et l’élégance d’un souffle poétique soutenu, sa muse semble à l’écoute de chaque soupir et chaque détresse dont elle se fait l’interprète et que son archet transcrit avec musicalité, en offrant sous la forme de rondels en octosyllabes, séries de quatrains, et majoritairement de sonnets en alexandrins, l’art d’unir à l’élégie le sublime des sentiments. Elle déroule le champ lexical des sensations pour mieux exprimer son ressenti et le faire partager à travers les paysages romantiques de ses états d’âme où la nature participe à les rendre sensibles dans l’exaltation des sens. Parfois le classique côtoie le néo, avec quelques notes discordantes (hiatus, élision non respectée à la césure…) qui viennent rompre le métronome de l’alexandrin, comme une disharmonie imitative provoquée par un infini chagrin, permettant de mieux rendre compte du dérèglement du cœur où pèse la souffrance d’un amour défunt, anéanti par la guerre, et qui vogue sur la mer « au soleil noir de la mélancolie… ».
Face à la mort brutale de l’être aimé qui vient cruellement interrompre une soif d’amour infini « Je veux mourir d’aimer dans les feux de l’instant ! », le souvenir devient obsessionnel pour revivre en pensée l’intensité de doux moments vécus avec emphase « Tes yeux…/Ton cœur…/Tes lèvres…/Ton corps… », vouloir les retenir désespérément pour contrer la mort définitive, en éprouvant le sentiment mêlé et déchirant de souhaiter à la fois, revivre le passé et l’oublier, quand la souffrance est trop insupportable, en proie « aux tourments de l’amer… ». Ainsi, la tristesse s’épanche dans un « lamento et sa longue plainte muette… », à l’image de la nature en hiver qui « n’est alors qu’une tombe gisant… ».
Au désir de « succomber à l’ivresse des sens », le corps de l’aimé se savoure telle « la coupe envoûtante d’une flûte de champagne » ! Dans « Feindre l’apprentissage », une description très suggestive où tous les sens, visuel, olfactif, gustatif, sonore, sont à l’œuvre, participe à l’érotisme savamment décliné : délacer un par un, dévêtir, frôler, baiser, frayer, atteindre, caresser, savourer, succomber, autant d’actions permettant d’assouvir un désir comblé. « Sur l’autel volupté », une nuit opaline décrit la trahison de l’amour tenté par l’infidélité et ne pouvant résister « à la fureur d’aimer » d’une amante pécheresse et ensorceleuse. L’ivresse permet également d’atteindre la volupté, « l’ineffable vertige » effaçant les souvenirs douloureux. De même que l’hiver fait succomber la rose, tandis que « la Mort plante son glaive », de même la guerre anéantit l’amour « où le rêve agonise », contrairement « au printemps de la rose où l’amour vibre en toute chose… ».
La guerre est assimilée à « un vautour, une hydre, une infâme traîtresse…//imposant sa basse vilenie effaçant tout soupçon d’harmonie… ». La fragilité des « amours envolés » inflige la peine d’un cœur brisé en éclats de « porcelaine » et fait écho au précédent recueil de l’auteure intitulé « Nuits de porcelaine », lorsque « les jours cléments s’en sont allés… ». Le temps omniprésent laisse son empreinte sur l’amour enfui, la beauté ternie, le visage fané et ridé et fait place à la nostalgie des jeunes amours défunts « aux charmes éternels ». Le souvenir « dont les lames de fiel sont de fins couperets » jamais ne se retire « sous le joug insatiable de la nuit » quand résonne « l’hymne de l’idylle éteinte… » et, « lorsque descend la nuit sur les rives d’Amor… », elle revêt les atours du deuil et de la douleur où domine le noir, car, nous dit l’auteure : « L’amour, comme la vie est une fleur fragile » pour laquelle « la mort survient sans rendez-vous ! » en faisant subir la peine d’un « naufrage ou gouffre sans fin… ».
Si elle souligne le courage, l’intégrité et l’attitude héroïque du soldat qui « offre sa mort pour délivrer ses amis », elle évoque dans un sonnet engagé les atrocités d’un monde inhumain causées par la guerre et la tragique actualité vécue par l’Ukraine, soumise à « la terreur d’un impérial diktat, où l’on assassine en semant l’horreur… ». Ainsi, les armes destructrices sont personnifiées, ces « chars vindicatifs aux obus oblongs/ transperçant les murailles (tandis que) « leur pénis pointu s’introduit dans les failles » à l’instar d’un viol, une image saisissante et très parlante ! Sur « le Danube en feu se battent de valeureux soldats » pour tenter de mettre à l’abri femmes et enfants… et les malheureux « ces soldats déments, hagards, sans devenir, obligés de se battre… en ayant pour seule escorte un fusil, l’ardeur, la foi pour étendard », ceux dont les veuves ne retrouveront qu’une tombe sur laquelle « prier à genoux… » vivent de nouveau, hélas, la terrible « guerre des tranchées… ».
Comment alors ne pas exprimer à quel point la séparation fait naître le désir vital, exacerbé, de profiter des derniers instants à partager pour « câliner son amour… » ! Pour le cœur en détresse, il ne reste plus que le recours à l’imaginaire pour « opérer comme un baume » : « J’imagine ta main gommant avec délicatesse la perle d’une larme (qui) tombe lentement sur mon corsage », une image très symbolique que l’auteure a choisie pour titre de son recueil. La narratrice avoue même se livrer aux pouvoirs de l’alcool pour oublier « le calice amer/d’un souvenir maudit ». Et, s’il ne s’agit que d’un rêve, « d’un absurde mirage » pour consoler son âme, quand « il n’est d’autre verger que les vals de ton âme », c’est le « seul baume offert aux pleurs… ». Comme a pu le préciser Freud, le fait de nourrir un lien intérieur avec la personne disparue permet d’accomplir le nécessaire travail de deuil jusqu’à ce qu’elle devienne « un doux souvenir dans l’ambigu lointain… ».
Sur un lac bienheureux, apparaissent deux cygnes blancs, comme l’espoir d’une sérénité retrouvée pour ceux qui ont vécu « les bombes cannibales et la peine qui déluge… ». Alors qu’elle aimerait tant « frôler la belle étoile où son aimé repose », la narratrice exalte « le verbe vainqueur » porteur de résilience, en formulant ce vœu : « J’irai au bois cueillir le bouquet d’un long poème/ orchestré par l’amour… ».
Enfin, pour achever le requiem et « panser son chagrin, / Sous le soleil de Sète, à l’ombre d’un jasmin, une paix compose les rives d’un refrain/chantonné par un ange… » où poésie et musique se rejoignent en faisant battre le cœur du lecteur à l’unisson…
Yolaine et Stéphen BLANCHARD
- Ce recueil a également été récompensé par le Prix des JEUX FLORAUX MEDITERRANEENS 2023
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