Chapitre 2

          1

 

« Miguel, tengo sed[1].

–          Ne pleure pas mon chéri. J’ai envoyé Pablo chercher maman chez les patrons pour lesquels elle travaille. Je suis certain que les Vicario vont la laisser venir te voir.

–          Miguel, tu peux pas savoir comme j’ai froid…

–          Duérmete, duérmete, que mamá está llegando[2]. »

Nous sommes dans un quartier pauvre de la ville de Mexico. Miguel a tout juste sept ans. Son petit frère est tombé malade quinze longs jours auparavant. On n’a pas pu avoir recours à un médecin car il n’y avait pas assez d’argent pour rémunérer ses soins. En désespoir de cause, on a fini par appeler la veille Teódula Fuentes qui habite dans une maison voisine. Elle est venue avec ses remèdes et ses potions prier conjointement les dieux des ancêtres et celui des catholiques du Mexique. La vieille femme a fait ce qu’elle a pu, tout en sachant qu’il n’y avait plus rien à espérer. Le petit garçon était selon toute vraisemblance à l’article de la mort. Dolores, qui était revenue de son travail le dimanche précédent, avait dû repartir après quelques heures passées en compagnie de ses enfants en les abandonnant malgré elle aux bons soins de la vieille indienne ; elle ne pouvait pas se permettre de perdre cette maigre source de revenus qui servait tant bien que mal à nourrir les enfants qu’elle élevait seule depuis le décès de son mari Ignacio. Elle était repartie la mort dans l’âme vers les Lomas de Chapultepec où habitaient les patrons exigeants qui l’employaient.

La vieille indienne au visage parcheminé par les ans avait promis de rester veiller sur l’enfant malade. Mais le pauvre petit s’était mis à délirer à nouveau et son état s’était considérablement aggravé. Le médecin appelé aux frais de la vieille femme avait fini par venir, mais il était trop tard pour sauver la vie compromise de cet enfant. Le sort l’avait donc condamné pour cause de pauvreté, comme cela arrivait hélas encore trop souvent dans ce Mexico des années cinquante… La malnutrition avait concouru à affaiblir ce corps affaibli sans défenses et on ne pouvait hélas plus rien pour lui, sinon prier et prier encore…

Miguel Rosales, qui était encore très jeune à l’époque, était cependant reparti lui-même chercher sa mère chez les Vicario. Il avait dû traverser ces longs faubourgs peuplés par l’actuelle bourgeoisie qui avait supplanté l’authentique aristocratie précédente, et ce juste après la Révolution mexicaine. Les descendants directs des colons espagnols avaient dû céder leur place à la toute puissante économie libérale nouvellement en vogue. Les villas somptueuses de ce quartier avaient été repeuplées par des gens issus du peuple pour la plupart. Ces derniers étaient devenus des nouveaux riches, forts de leur exploitation récente et usurpatrice sur leurs frères indiens soumis de ce fait à une nouvelle forme d’esclavage déguisé. L’histoire semblait se répéter. L’avènement d’une révolution conduisant presque rituellement aux mêmes travers, une aristocratie tombe, l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle oligarchie la remplace et abuse de ses pouvoirs à son tour, et parfois même de façon plus outrancière que la précédente, ce qui fait que les gens du peuple dans leur grande majorité ont tout simplement changé de maîtres entre temps.

[…]


[1] Miguel, j’ai soif.

[2] Dors, dors, maman arrive.

________________________________________________________________________________

 

Ce roman est en vente sur le site d’Amazon, de la Fnac…

 
couverture bellucio une