Voix

Un jour, j’ai rencontré une voix. Elle m’a appelée lorsque j’étais à mon travail. Pour un peu, je ne l’entendais pas, car mon portable était en sourdine. Elle a désiré parler à une « jeune femme élancée au prénom de « … » qui en l’occurrence était moi-même. Interloquée par un timbre que je n’avais jamais entendu auparavant, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un appel professionnel, bien que, dans ce cas bien précis, on ne m’aurait en l’occurrence pas appelée d’emblée par mon prénom…

Pensant qu’elle ne l’était pas encore assez, la Voix s’est faite soudain plus mystérieuse. J’ai fini par répondre que j’étais bien « moi », tout en pensant avec contrariété qu’il ne s’agissait là que d’une partie de mon identité. La Voix s’est donc fait connaître, et j’ai pu mettre enfin une tonalité sur un visage que j’ignorais encore… Dans ce registre étrange, je commençais à entrevoir un semblant d’éclaircie.

Comment pourrais-je décrire cette voix nouvelle ?  Posée, élégante, sans accent,  et… un peu énigmatique malgré tout, tout aussi mystérieuse que l’absence de numéro sur l’écran de mon téléphone portable.

J’osai un timide : «  Vous êtes bien Alexandre, n’est-ce pas ? ».

La Voix marqua alors très rapidement un temps d’arrêt, surprise apparemment, en entendant la mienne. Il est vrai que mon timbre s’était refusé par le plus grand des hasards à mûrir un jour, stoppant ainsi sa course vers une mue des plus ordinaires. Ce problème étant pour ma part − hélas bien connu − un autre sous-jacent n’en demeurait pas moins entier.

S’étant reprise, la Voix du téléphone m’indiqua que cet appel serait bref et que notre conversation ne pourrait s’étendre davantage. Était-ce prémédité ? Le charme de nos précédentes discussions aphones par le biais de MSN était-il en train de se rompre de façon unilatérale ? Après quelques phrases laconiques, la Voix s’arrêta et je n’eus jamais le loisir de mettre enfin un visage sur ce profil anonyme facebookéen. Elle repartit aussi brièvement qu’elle s’était fait entendre, à travers les ondes fébriles de mon forfait téléphonique.

Un an plus tard, jour pour jour, cette voix que je reconnus dès le premier coup de sonnette, réapparut sur le seuil de ma porte. Elle était cette fois accompagnée de la présence d’un homme grand et souriant, arborant un charme ineffable, tenant dans ses mains un bouquet de roses incarnat à l’odeur enivrante. J’en restai sans voix. La Voix ne me reconnut donc pas et pensa par conséquent s’être trompée de porte. Les larmes coulant malgré moi sur mon visage ému, livide d’émotion, laissèrent alors échapper un sanglot, identifié d’emblée par la Voix comme étant le mien. Le bouquet tomba à terre. L’homme me prit dans ses bras, m‘enlaça tendrement. Nos voix se conjuguèrent un instant en identités recouvrées, puis s’unirent dans un long baiser de paix respective, ouvrant les portes d’un monde non-virtuel, afin de revêtir enfin les couleurs de la vie transparente dans laquelle j’avais toujours désiré évoluer.

Je pouvais désormais poser un visage sur ce timbre. Un corps de bronze viril la sculptait avec magnificence. J’avais devant moi un homme ayant surgi d’un mystère virtuel le plus complet, avec qui j’allais passer les quelques mois lui restant encore à vivre…

© Monique-Marie IHRY

 Texte introductif du recueil de poésie ” Rendez-vous manqués ” paru en 2011 chez IchraQ Éditions (Tunis).