MA SŒUR  

 

Il est dix heures du soir ; dans la chambre obscure

Ma sœur est endormie, ses mains sur la poitrine ;

Son visage est très pâle et sa couche très blanche.

Comme si elle le comprenait, la lumière n’éclaire presque pas.

 

Elle s’enfonce dans le lit comme le font les fruits

Roses, dans un profond matelas d’herbe tendre.

L’air entre dans sa poitrine et la soulève chastement

Avec un rythme mesurant les minutes éphémères.

 

Je la borde doucement avec les couvertures banches

Et je protège du vent ses deux mains divines ;

Sur la pointe des pieds je ferme toutes les portes,

J’entrebâille les volets et tire les rideaux.

 

Il y a beaucoup de bruit dehors, tant de bruit étouffe.

Les hommes se querellent, les femmes murmurent,

Montent des paroles de haine, les cris de marchands :

Vous les voix, arrêtez-vous. Ne venez pas jusqu’à son nid.

 

Ma sœur, tel un ver habile, est en train de tisser

Son cocon de soie : son cocon est un rêve.

Avec un fil d’or elle tisse le flocon soyeux :

Sa vie est un printemps. Moi, je suis déjà l’été.

 

Elle n’a que quinze automnes derrière elle,

Et c’est pour cela que ses yeux sont aussi limpides et clairs ;

Elle croit que les cigognes descendent depuis des pays étranges,

Avec des enfants blonds aux petits pieds rouges.

 

Qui désire entrer maintenant ? Oh, c’est toi le bon vent ?

Tu veux la regarder ? Entre. Mais avant, sur mon front

Réchauffe-toi un instant ; ne vas pas tout à coup

Refroidir le doux rêve que je devine sur le sien.

 

Comme toi, ils aimeraient bien entrer et se mettre

À regarder cette blancheur, ces joues pimpantes,

Ces petites oreilles, ces traits fins.

Tu les verrais, toi le vent, pleurer et se mettre à genoux.

 

Ah, si vous l’aimez un jour, soyez bons, parce qu’elle fuit

La lumière qui la blesse. Mesurez vos paroles.

Et vos intentions. Son âme se modèle comme la cire,

Mais comme la cire un frôlement la détruit.

 

Faites comme cette étoile qui, la nuit, la regarde

En filtrant son regard à travers un voile cristallin :

Cette étoile lui effleure les cils et tourne,

Pour ne pas la réveiller, silencieusement dans le ciel.

 

Volez, s’il vous est possible, dans son verger enneigé :

Pitié pour son âme ! Elle est immaculée.

Pitié pour son âme ! Moi je sais tout, il est vrai.

Mais elle, elle est comme le ciel : elle ne sait rien.

 

Alfonsina STORNI

Traduction en français de Monique-Marie Ihry

Extrait du recueil de poésie de la poète argentine Alfonsina Storni Langueur/ Languidez paru en 1920, ouvrage ayant remporté le 2ème prix de National de Littérature en Argentine.

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* * * * * * *

 

MI HERMANA

 

Son las diez de la noche; en el cuarto en penumbra
Mi hermana está dormida, las manos sobre el pecho;
Es muy blanca su cara y es muy blanco su lecho.
Como si comprendiera la luz casi no alumbra.

En el lecho se hunde a modo de los frutos
Rosados, en el hondo colchón de suave pasto.
Entra el aire a su pecho y levántalo casto
Con su ritmo midiendo los fugaces minutos.

La arropo dulcemente con las blancas cubiertas 
Y protejo del aire sus dos manos divinas;
Caminando en puntillas cierro todas las puertas,
Entorno los postigos y corro las cortinas.

Hay mucho ruido afuera, ahoga tanto ruido.
Los hombres se querellan, murmuran las mujeres,
Suben palabras de odio, gritos de mercaderes:
Oh, voces, deteneos. No entréis hasta su nido.

Mi hermana está tejiendo como un hábil gusano
Su capullo de seda: su capullo es un sueño.
Ella con hilo de oro teje el copo sedeño:
Primavera es su vida. Yo ya soy el verano.

Cuenta sólo con quince octubres en los ojos,
Y por eso los ojos son tan limpios y claros;
Cree que las cigüeñas, desde países raros,
Bajan con rubios niños de piececitos rojos.

¿Quién quiere entrar ahora? Oh ¿eres tú, buen viento?
¿Quieres mirarla? Pasa. Pero antes, en mi frente
Entíbiate un instante; no vayas de repente
A enfriar el manso sueño que en la suya presiento.

Como tú, bien quiseran entrar ellos y estarse
Mirando esa blancura, esas pulcras mejillas,
Esas finas ojeras, esas líneas sencillas.
Tú los verías, viento, llorar y arrodillarse.

Ah, si la amáis un día sed buenos, porque huye
De la luz si la hiere. Cuidad vuestra palabra.
Y la intención. Su alma, como cera se labra,
Pero como a la cera el roce la destruye.

Haced como esa estrella que de noche la mira
Filtrando el ojo por un cristalino velo:
Esa estrella le roza las pestañas y gira,
Para no despertarla, silenciosa en el cielo.

Volad si os es posible por su nevado huerto:
¡Piedad para su alma! Ella es inmaculada.
¡Piedad para su alma! Yo lo sé todo, es cierto.
Pero ella es como el cielo: ella no sabe nada.

Alfonsina Storni (“Languidez”)