Extrait XXIX du recueil de prose poétique Inquiétudes sentimentales (1917) de la poète chilienne Teresa Wilms Montt (1893-1921) traduit en français et présenté par Monique-Marie Ihry, Collection Bilingue n° 9, Cap de l’Étang Éditions, 2020

 

La poète, en l’occurrence une mère à qui on a arbitrairement retiré la garde de ses deux petites filles, se souvient…

 

XXIX

 

J’ouvre le rideau du passé et je me souviens… Elle est malade ; elle a de la fièvre et délire.

Sa petite main brûlante abandonnée sur la mienne a le doux abandon d’un oiseau dans son nid.

Le petit corps endolori tremble comme une feuille au vent.

Elle ne désire rien. Ses yeux bleus, comme deux miracles du ciel, regardent dans le vague, dans l’oubli du monde extérieur ; ils sont peut-être dans le lit des zéphyrs où ils virent le jour.

J’ai déployé sur son petit lit toute ma tendresse, qui l’a enveloppée avec la douceur d’un sanglot.

Maintenant, elle me regarde et son regard de rêve a la clarté céleste de l’émotion.

Ces yeux puissants élèvent mon âme, depuis l’abîme de leur amertume jusqu’à l’orée de la vie ; de cette vie dont je ne veux, de cette vie que je méprise.

« Je suis là, me disent-ils, vis pour moi ».

Je n’ai pas écouté ce sublime appel et j’ai perdu pour toujours ces yeux apaisant mon âme, comme le pansement atténue la douleur de la plaie.

La vie s’écoule, ma vie tronquée de pantin mendiant d’amour ; et elle, la divine créature, arrachée à mes bras par la griffe féroce du destin, ignore ma douleur.

Elle aussi souffre sans le savoir, parce que le deuil fait du plus grand amour une ombre invisible et glacée dans son cœur.

Deux mots, les plus grands qu’ait créés le langage, pourraient nous unir, mais personne ne les prononcera parce que l’indifférence a rendu les cœurs muets. Elle et moi, séparées par le monde et unies dans l’amour divin de l’âme, nous mourrons dans l’attente d’une miséricorde.

 

* * *

 

Descorro la cortina del pasado y recuerdo…. Está enferma; está con fiebre y delira.

Su manito ardiente, abandonada sobre la mía, tiene la dulce confianza de un pájaro en su nido.

El cuerpecito dolorido sufre los temblores de una hoja al viento.

Nada quiere. Sus ojos azules, como dos milagros del cielo, miran lejos, olvidados del mundo exterior; están tal vez en el lecho de los zafiros, lugar donde nacieron.

He desparramado sobre su camita, todas mis ternuras, que la han cubierto con una tibieza de sollozo.

Ahora me mira, y su mirada de ensueño tiene la claridad celeste de la emoción.

Esos ojos poderosos elevan mi alma, desde el fondo de su amargura a la superficie de la vida; de la vida que no quiero, de la vida que desprecio.

“Aquí estoy, me dicen; vive para mí”.

No escuché esa sublime exhortación, y perdí para siempre esos ojos que suavizaban mi alma, como el vendaje amortigua el ardor de la llaga.

Pasa la vida, mi vida trunca de fantoche pordiosero de amor; y ella, la criatura divina, arrancada de mis brazos por la garra feroz del destino, ignora mi dolor.

Ella también sufre sin saberlo, porque el duelo hace del más grande amor una sombra invisible y helada en su corazón.

Dos palabras, las más enormes que ha creado el lenguaje, podrían unirnos; pero nadie las pronunciará porque la indiferencia ha enmudecido los corazones. Ella y yo, separadas por el mundo y unidas por el sublime amor del alma, moriremos aguardando piedad.